Aux perlere, nos aînées

Aux perlere, nos aînées

(livre publié en 2011 sur l’entreprise Ercole Moretti e F.lli, protagoniste de l’extraordinaire succès des perles vénitiennes entre le XIXème et XXème siècle)


En hommage à nos aînées, perlere en Vénitien (prononcer tous les « e » avec l’accent tonique sur le deuxième), je vous propose un résumé en trois parties afin de partager avec vous l’histoire de ces femmes qui, comme nous, ont fait des perles leur travail et leur vie.


Les débuts
Les premières perles produites à Venise, Paternostreri de vitro, (Paternoster, Notre Père) étaient les grains des chapelets de prière. Un tonneau plein de chapelets en verre au départ de Venise a été documenté dès 1338.


Avec l’impulsion du verre à la flamme, a lume, l’importance des perles en verre fut telle qu’une nouvelle corporation vit le jour en 1629, la Corporazione de Supialumi. Les Supialumi produisaient des perles, mais aussi des petits objets creux, soufflés à la bouche, d’où leur nom.


Petit à petit ils prirent leur indépendance par rapport à la puissante corporation des Paternostreri et en 1672 a été documenté la fondation de l’ Arte de’ Perleri, la corporation des perliers !


Cannaregio
Venise est divisée en 6 quartiers, sestieri (plus la Giudecca) et Cannaregio est le sestiere qui va en gros des Fondamenta Nove à la gare de S.Lucia. Ici, entre les Fondamenta della Sensa, San Marziale et les Fondamenta della Misericordia se trouvait le triangle d’or des perlières vénitiennes et les entreprises de verre les plus importantes avaient intérêt à être sur place pour suivre la production et fournir les matériaux nécessaires.


En 1788 la seule paroisse de San Marziale recensait 134 perlières sur les 680 présentes à Venise. Entre 1867 et 1870 ces perlières pouvaient compter sur la présence de dix huit verreries différentes qui produisaient des baguettes de verre.


Les perlere
Des très nombreuses perlières pouvaient, grâce à leur production, soutenir financièrement leur foyer pendant des temps économiquement difficiles. Elles étaient payées à la pièce et le prix variait selon le modèle.


Elles travaillaient chez elles, souvent dans leur cuisine, ou se réunissaient dans des petits ateliers. Elles pouvaient également louer des postes de travail dans des ateliers plus grands où elles produisaient de façon indépendante mais à côté d’autres perlières. A la fin de l’année 1955 on recensait une cinquantaine d’ateliers actifs, qui employaient environ 500 femmes. Elles pouvaient ainsi organiser leur propre travail à toute heure de la journée et de la nuit, sauf le lundi. Le lundi était sacré ; elles se retrouvaient entre elles pour boire et papoter à l’osteria, le troquet du coin, jouer au loto et payer la cotisation à la Cassa Peota.


La Cassa Peota était une sorte de caisse commune, une association, qui en cas de coup dur pouvait faire des prêts à faible taux d’intérêt, mais qui surtout organisait en fin d’année une sortie de groupe. Cette association conviviale née dans les osterie faisait souvent la une des chroniques locales grâce à l’habitude de certains présidents ou trésoriers de disparaître avec la caisse…


Les outils
Il faut d’abord préciser à propos du chalumeau, que le terme «il lume », lampe en français, est masculin en italien.


Mais dans le monde des perles de l’époque, il assumait sa particularité en passant au féminin, la lume.


Jusqu’à la moitié du XIXème on utilisait de la graisse animale comme combustible, avec toutes les mauvaises odeurs qu’on peut imaginer…En 1843, Domenico Bussolin, déjà inventeur des cannes millefiori, obtint le brevet pour l’utilisation dans les chalumeaux du gaz hydrocarboné depuis peu utilisé pour l’illumination des voies publiques. Mais l’utilisation de la graisse animale ne fut définitivement abandonnée que pendant le siège que les Autrichiens livrèrent à Venise en 1849. Pendant quelques mois, la viande disparut des marchés et avec elle la graisse, et le gaz commença à se diffuser dans les ateliers. La flamme ainsi obtenue était bien plus puissante et le rendu des couleurs bien meilleur !


Beaucoup plus tard, avec la diffusion de l’énergie électrique, un moteur substitua le folo , un soufflet actionné manuellement, et le chalumeau fut perfectionné ultérieurement avec l’arrivée du gaz méthane.


Le fornello était essentiel pour maintenir la chaleur de la flamme. Le petit muret était construit en matériau réfractaire par chaque perlière et placé en face du chalumeau. Pour se protéger de la chaleur elles s’abritaient derrière une plaque de verre assez fine pour que ça ne casse pas à cause des chocs thermiques.
Pour le refroidissement des perles, avant la vermiculite, elles utilisaient des cendres appelées faivo, de « faiva », étincelle. C’était une cendre noire et végétale obtenue en brûlant des roseaux qui poussaient dans la lagune. Cette cendre était d’abord utilisée dans les chantiers navals pour la construction des bateaux et ensuite jetée comme déchet. Les maris des perlere partaient donc avec leurs petites barques, leurs sandolo, pour ramasser ces cendres dans les poubelles des chantiers, et il fallait le faire souvent parce qu’avec l’usage les cendres perdaient en efficacité.


Chaque perlera préparait ses mandrins avec son propre mélange séparateur, le plus souvent fait de chaux, terre de Vicenza, colle de menuiserie et eau. Les dernières arrivées dans un atelier (ou les maris au chômage..) étaient les lustraferri, ceux qui nettoyaient les mandrins !


Perlere et Impiraresse
Cannaregio était le règne des Perlere autant que Castello était le règne des Impiraresse, les femmes qui enfilaient les perles des Conterie, les minuscules petites perles fabriquées de façon industrielle qui eurent tant de succès dans le monde entier en même temps que les perles Rosetta.


Dans le monde des perlere les noms de trois femmes restent connus, Caterina Da Ponte, Linda Brovazzi et Letizia Quarti qui, après la 2éme Guerre Mondiale et jusqu’aux années ’70, eurent le courage et la satisfaction de développer la production de leurs ateliers et de la faire connaître dans le monde entier.


Pendant cette époque il y eut une énorme production et un commerce florissant de perles. Pour la seule perle Rosetta, en 1886, l’entreprise Ferro & Marinetti reçut une commande de 251.000 perles entre 13 et 38 mm de diamètre et entre 12 et 52 mm de longueur. Pour arriver à honorer cette commande elle dût faire appel à d’autres entreprises : il leur fallut 3 mois et le travail de 100 personnes !
Belle époque ! Tempi d’oro…


Référence du livre :
Ercole Moretti. Un secolo di perle veneziane e di prestigiosi manufatti in vetro.
Gianni Moretti, ed : Arcari Editore, 2011


Pour celles et ceux qui sont intéressés, le livre contient aussi beaucoup de photos détaillées et d’époque, un texte en Italien avec la traduction en Anglais à côté.